Code Hays, Sexe, Crime et Censure

Bonjour à tous,

Aujourd’hui, nous n’allons pas parler d’un film en particulier mais plutôt d’une période spécifique de l’histoire du cinéma, à savoir, la fin des années 20 et le début des années 30, et plus précisément aux États-Unis.

d67DvF8BYqfNCcXB12DQ4cwyqaQ
A cette époque, le cinéma c’est trop fifou

Nous sommes en 1927, et à cette époque, le cinéma c’est un peu du grand n’importe quoi. Les réalisateurs expérimentent comme des savants fous avec toutes les techniques qui leur passent par la tête. On fait des westerns, des films d’horreur, des films de fesses, et surtout, des films qui remettent un peu en question la morale puritaine de l’époque. Tout le monde se lâche dans la joie et la bonne humeur et c’est un joyeux bordel créatif. Hollywood a la réputation d’être un endroit sulfureux et orgiaque ou acteurices et réaliateurices s’envoient de la coke et sniffent des gens.

Jusqu’à ce qu’arrive une affaire qui va bouleverser ce petit monde, à savoir le viol et le meurtre de l’actrice Virginia Rappe par le réalisateur Roscoe Arbuckle.

C’est un peu la panique dans ce milieu déjà accusé des pires débauches, et productions et studios se réunissent pour mettre en place un code moral destiné à redorer le blason des productions Hollywoodiennes avec des films plus moraux.

Entre alors en scène un certain William Hays. Un jeune homme ambitieux qui avait déjà fait des débuts retentissants en politique. Avec l’aide des directeurs des gros studios tels que la Paramount, la Metro Goldwyn Mayer et d’autres, il met en place un code de censure censé expliquer aux réalisateurs et scénaristes ce qu’ils ont droit de montrer dans des films ou non. Ce premier essai de code tient davantage de l’autocensure qu’autre chose, puisque la décision vient des studios qui souhaitent renvoyer au public une meilleur image de l’industrie. Ce premier code n’est donc pas vraiment gravé dans le marbre, et n’est pas spécialement obligatoire. Pour résumer, c’est plus une sorte de guide qu’un véritable code.

Sauf que les réalisateurs, ils s’en foutent. Eux, ils veulent pouvoir continuer à filmer des trucs tranquillou-bilou sans se soucier de la bien-pensance. Ils ont des trucs à dire et, nom de dieu, ils vont le dire. Arrivent alors sur les écrans un certain nombre de métrages qui, si ils choquent plusieurs personnes, représentent un réel changement dans les mœurs et la mentalité.

On peut citer par exemple le film The Divorcée sorti en 1930, qui met en scène l’actrice Norma Shearer jouant une jeune femme qui, excédée des infidélités de son mari, le fout à la porte et s’adonne à une vie de plaisirs sans fin, avec de l’alcool, des hommes, et des tenues classieuses. Ce film bouscule un certain nombre de conventions puisque la femme adultère n’est pas montrée comme immorale, et sa volonté d’assumer pleinement sa sexualité et d’avoir des amants n’est pas quelque chose de négatif. Autant vous dire qu’en 1930, ça fait légèrement jaser.

normashearer
Norma Shearer

S’ensuit plusieurs films de la même veine, où les passions sont débridées, les femmes représentées comme des personnages fort et positifs à la sexualité pleinement assumée. Le sexe n’est plus confiné au mariage. Une femme peut assumer ses désirs, travailler, et truander aussi bien qu’un homme, et ça c’est cool.

Parmi les actrices qui joueront ces femmes solaires, on peut citer plusieurs noms toujours connus, comme Greta Garbo, Marlene Dietrich ou encore Mae West ou Jean Harlow.

Cette tendance dure jusqu’en 1934, où vient alors la goutte d’eau qui fera déborder le vase, à savoir Tarzan and His Mate, où l’actrice Maureen O’Sullivan est montrée entièrement nue, se baignant dans un lac avec son Tarzan chéri (en fait ce n’est pas vraiment elle mais une doubleuse nageuse olympique mais à l’époque, personne ne le sait).

Tarzan-1
Désolée pour la qualité de l’image mais pour une fois que je vous montre de la fesse, venez pas râler.

Horreur, hauts cris, trahison, disgrâce, ils portent la marque du mal sur leur faces et tout ce qui s’ensuit. Du coup, les studios, aidés par des institutions catholiques (véridique), écrivent un nouveau code de censure, et celui-là par contre, sera obligatoire. Il s’appelle le Motion Pictures Production Code mais est plus communément appelé code Hays pour faire court, car il reprend en effet pas mal d’éléments de cet ancien code.

Alors, ce code est très long et pas très intéressant à lire (je vous mettrais néanmoins un lien en description pour ceux que ça intéresse), je vais donc vous résumer ici quelques articles que je trouve significatifs.

– Le mal et le crime ne doivent pas être romantisés. Si un personnage commet une exaction, il doit absolument être puni à la fin du film. Le mal doit clairement être reconnu comme tel. Aucune remise en question de la loi ou de ses représentants ne doit être montrée.

– Un adultère ou un triangle amoureux doivent être présentés comme négatif. Quoi qu’il arrive, l’aspect sacré du mariage doit être mis en avant.

– Les scènes d’amour doivent être très peu nombreuses et jamais passionnelles. On doit en voir le moins possible et les baisers doivent être courts et chastes. En règle générale, la passion est à bannir au profit d’un amour « pur ».

– Jurer est interdit, en particulier les insultes à caractère « religieux », tel que damn, godamnit etc. Le nom du Christ ne doit jamais être utilisé en dehors de prières ou dévotions.

– La nudité complète est interdite, la nudité partielle est autorisée (bras nus, jambes nues), mais le mouvement des seins ne doit jamais être vu par exemple. Dans le cas d’une danse, une danse ne doit jamais être lascive ou suggérer un acte sexuel. La danse du ventre est considérée immorale et donc interdite.

– La Miscegenation, à savoir des relations sentimentales ou sexuelles entre blancs et noirs est interdite.

dance outfit
Les costumes de danse avant et après le Code

Voilà voilà. C’est un résumé assez grossier mais si je devais détailler tous les articles, on serait encore là demain. Je ne sais pas vous, mais moi, ce qui me choque en lisant ceci c’est le nombre d’articlees qui tournent autour du sexe. Ce qui est intéressant, c’est que, quand on regarde les films sortis avant la parution de ce code, on trouve un paquet de métrages mettant en scène des femmes libérées, à l’aise avec leur sexualité. Greta Garbo dans Queen Christina embrasse une de ses suivantes sur la bouche et passe une semaine au lit avec un mec qui a commencé à la draguer alors qu’elle était déguisée en homme, Norma Shearer se fait la spécialité de jouer des femmes libre de coucher avec qui elles veulent, Ernst Lubitsch a même sorti un film intitulé Design for Living dans lequel deux hommes et une femmes vivent heureux dans un ménage à trois.

Garbo-Kisses
Greta Garbo embrassant sa suivante dans Queen Christina

Des exemples comme ça, il y en a un sacré paquet. Aussi, on peut se demander si le Code n’a pas été mis en place pour brider cette libération des mœurs qui commençait à prendre son essor, et dont le cinéma n’était finalement que le reflet. Le Code se concentre décidément beaucoup sur la représentation des femmes et du corps féminin, et de là à penser qu’il a été mis en place pour réfréner les femmes et leurs pulsions, il n’y a qu’un pas, que je franchis joyeusement. Ce n’est cependant que mon opinion, mais au vu des thématiques des films Pre-Code, je pense que c’est une théorie qui tient debout.

Mais dans les faits, que se passe-t-il donc une fois toutes ces lois mises en place ? Est-ce que ça a plombé le cinéma ? Certes non. Heureusement, la plupart des réalisateurs étaient des petits malins, et beaucoup ont rivalisé d’ingéniosité pour faire des films très sulfureux si on est capable de lire entre les lignes. Prenons un petit exemple au hasard : dans le célébrissime film noir The Big Sleep, Marlowe et Vivian, respectivement interprétés par Humphrey Bogart et Lauren Bacall ont une conversation très innocente sur les chevaux en se lançant des regards de braise. Bon, j’ai peut-être l’esprit très mal tourné, mais je vous laisse l’extrait vidéo ici et vous vous ferez votre propre opinion.

Les réalisateurs n’ont plus non plus le droit de critiquer la police, les autorités ou les figues politiques de leur pays. Qu’est ce qu’ils font du coup ? Ils déplacent l’intrigue à une autre époque et dans un autre pays pour parler de leurs problèmes de société. C’est pour ça que Casablanca et To Have and Have not se déroulent sous le régime de Vichy.

f3235ab664c241876138e6ed9d440d27Et puis il y a Gilda. Sérieusement, ce film pourrait être un tuto intitulé Comment Contourner le Code Hays en 12 étapes. Le personnage éponyme, interprété par Rita Hayworth est sexualisé à l’extrême sans jamais dévoiler un bout de fesse ou de sein. Comment on fait ? Avec un seul mouvement de cheveux et des épaules découvertes. Attendez je vous montre.

C’est pas grand-chose et pourtant, ces quelques secondes débordent de sensualité. Et puis il y a la fameuse scène de strip-tease de gant. Comme je l’ai déjà dit, le Code interdisait des danses trop lasives et que des parties du corps soient trop découverte. La solution : Gilda enlève un gant, un seul gant. Mais d’une façon tellement suggestive que la scène devient torride. Bon, comme ils n’avaient pas trop le droit de montrer un corps qui se déhanche, la pauvre Rita Hayworth danse avec la grâce d’un poteau électrique, mais le résultat est là.

Il y a encore d’autres exemples qui jalonnent ce film et je ne vais pas tous les citer. Je me contenterais de rapporter une théorie que j’ai souvent lue dans des canards de cinéma et qui ne me semble pas idiote. Pour beaucoup d’historiens du cinéma, Gilda parle d’homosexualité. Pour être honnête, au premier visionnage ça ne m’avait pas sauté aux yeux (mais en même temps, j’avais 14 ans), et lorsque je l’ai revu, ça m’a semblé évident. Mais comme ce n’est qu’une théorie et que c’est peut-être mon esprit qui voit des sous-entendus partout, je vous laisse le regarder et me donner votre avis.

Il est donc très intéressant de regarder des films des années 40 et d’essayer de percevoir comment les réalisateurs essayent de faire passer leurs messages par des moyens détournés. Au bout d’un moment, ça devient un jeu de piste aussi fascinant qu’hilarant.

Malheureusement, avec la mise en place du Code, nous avons aussi perdu tout un panel de personnages féminins forts et indépendants. Même si les années 40 sont l’essor de la Femme Fatale, ce ne sont pas des femmes libérées pour autant. Elles n’ont d’ailleurs que deux solutions : soit être punies par leur vie de vice et de péché, soit trouver la rédemption par l’amour monogame d’un homme droit et viril. Nous sommes désormais bien loin où des femmes n’en faisaient qu’à leur tête. Et tant qu’à, plus de femmes criminelles ou chef d’entreprise non plus. Désormais les femmes sont secrétaires, infirmières, complices, victimes, épouses et c’est tout. Faut pas déconner non plus.

Heureusement, le code déclinera peu à peu et ne sera plus vraiment mis en application dans les années 60/70, mais son impact est toujours présent dans nos sociétés, notamment dans son image des femmes.

Un petit exemple, laissez-moi vous poser une question : pouvez-vous, dans le cinéma mainstream actuel (pas les films indépendants hein, les blockbusters), me citer un personnage de femme solaire, éminemment positif, qui assume à fond sa sexualité hors d’un couple monogame ? Ben figurez-vous que moi non plus. Même de nos jours, les personnages féminins qui assument leur sexualité sont soit des antagonistes, soit punies (la célèbre death by sex des slashers), soit finissent en couple exclusif et monogame et connaissent donc une sorte de repentir de leur vie dépravée.

Pour retrouver des personnages féminins positifs et sexuellement ouverts, il faut se tourner vers les séries, et même là, ce sont des denrées rares.

Nous sommes donc encore bien loin de nous débarrasser de l’influence des codes de censure qui ont pourtant presque un siècle, mais c’est tout de même intéressant de voir comment ce vieux Code laisse encore des stigmates dans les films récents. Maintenant c’est à vous de choisir si c’est une bonne ou une mauvaise chose. En faisant mes recherches pour cet article, je suis tombée sur une vidéo d’un type qui liait le Code Hays au mouvement #metoo, en disant que pour protéger les femmes de nos jours, il faudrait remettre en place ce type de Code, pour les protéger de l’hyper-sexualisation.

A vous de voir où vous vous situez sur cette échelle de valeurs, et n’hésitez pas à regarder des films Pré et Post Code pour vous faire une opinion, vous verrez que les différences sont fascinantes.

Et pour ceux qui veulent lire le code, c’est par là

Filmographie :

Curtiz, Michael. Casablanca. Warner Bros., 1942.

Fitzmaurice, George. Mata Hari. Metro-Goldwyn-Mayer, 1931.

Gibbons, Cedric. Tarzan and His Mate. Metro-Goldwyn-Mayer, 1934.

Hawks, Howard. The Big Sleep. Warner Bros., 1946.

—. To Have and Have Not. Warner Bros., 1944.

Leonard, Robert Z. The Divorcee. Metro-Goldwyn-Mayer, 1930.

Lubitsch, Ernst. Design for Living. Paramount Pictures, 1933.

Mamoulian, Rouben. Queen Christina. Metro-Goldwyn-Mayer, 1933.

Neely, Hugh Monroe. Complicated Women. Timeline Films, 2003.

Vidor, Charles. Gilda. Columbia Pictures, 1946.